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Le psychédélisme en version poche

Lumière et hallucinations, de Nostradamus à l’application Lumenate

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Published: 28 janv. 2022
Michel de Notre Dame, plus connu sous le nom de Nostradamus, fréquentait la cour de Catherine de Médicis. On dit que les deux étaient ensemble, sur une terrasse du palais royal français, quand Nostradamus aurait eu des visions prophétiques alors qu’il observait le soleil les yeux fermés, en créant avec la main ouverte une lumière intermittente. Il s'agirait là de l’un des premiers cas de l’histoire de flicker-induced hallucination (que l’on pourrait traduire par « hallucinations causées par le papillotement »).

La stimulation stroboscopique forme partie intégrante de l’encéphalogramme, afin d’établir la réponse aux ondes alpha et de tester d’éventuelles réactions photo-paroxystiques chez les personnes souffrant d’épilepsie photosensible. Le neurophysiologue William Grey Walter, l’un des pionniers de l’application de l’électroencéphalographie à la clinique neurologique et psychiatrique, remarquait un autre effet de la lumière stroboscopique : certaines personnes disaient avoir vu « des spirales, des tourbillons, des explosions : en testant un dispositif pour étudier l’épilepsie, nous sommes tombés sur l’un de ces paradoxes naturels qu’est le rêve d’une vérité cachée », comme le raconte Walter dans le livre The Living Brain. Une description vertigineuse de ces hallucinations est faite par le poète Margiad Evans, mentionné dans le livre de Walter : « des lumières comme des comètes se balançaient devant moi, d’abord lentement, puis de plus en plus rapides et changeantes, des couleurs qui tourbillonnaient à l’intérieur d’autres couleurs, coins dans coins. C’étaient de pures couleurs surnaturelles, des couleurs mentales, non liées à la vue profonde. Il n’y avait aucune splendeur en elles, mais seulement du mouvement et de la rotation ».

Dans le domaine scientifique, les réactions à la découverte de ces hallucinations visuelles n’ont pas suscité d’intérêt particulier : il s’agissait d’une découverte tout compte fait secondaire pour le progrès médical. En revanche, l’effet sur la culture underground des années 1960, en particulier sur la Beat Generation a été différent.

Et c’est là que revient The Living Brain de Walter : William Burroughs a fait partie de ses lecteurs. La flicker-induced hallucination pourrait lui avoir rappelé l’histoire que lui avait racontée son ami Brion Gysin. Dans les années 1950, les deux vivaient dans un modeste hôtel au 9 rue Gît-le-Cœur, en plein Quartier Latin à Paris. Le 21 décembre 1958, Gysin avait noté sur son agenda un épisode survenu alors qu’il voyageait en autobus dans le sud de la France. En passant près d’une rangée d’arbres, la lumière du soleil se fit intermittente et Gysin vit « une marée débordante de formes, avec des couleurs surnaturelles et très vives [...] un kaléidoscope multidimensionnel qui tourbillonnait dans l’espace. La vision cessa d’un coup après avoir dépassé les arbres. Était-ce une vision ? ».

Gysin connût, à travers une expérience fortuite, ce que les scientifiques et neurophysiologues comme Walter avaient découvert en laboratoire. Burroughs, ayant lu The Living Brain, mit l’expérience de son ami dans un contexte théorique. Gysin persuada alors le mathématicien Ian Sommerville de construire un stroboscope. Le résultat fut un objet de conception simple, mais très efficace : au centre d’un cylindre de carton avec des trous pratiqués à une distance régulière, on positionna une ampoule et le cylindre fut ensuite posé sur un tourne-disque à 78 tours/minute. La lumière émise par l’ampoule qui tournait sur l’appareil aurait ainsi eu une fréquence régulière comprise entre 8 et 12 Hz d’ondes alpha, similaire à la fréquence produite par un stroboscope de laboratoire.
Cet objet fut rebaptisé Dreamachine et fut très vite renommé chez les beatniks. Allen Ginsberg décrivit ainsi son expérience : « c’est comme si l’on avait devant soi des paysages et des formes bibliques précieuses sans absorber de substances chimiques ». Selon Gysin, la Dreamachine avait les potentiels pour remplacer la télévision dans les demeures. Il la fit breveter comme « une méthode et un système pour la production de sensations artistiques » et entra en contact avec Philips. Des représentants de l’entreprise se rendirent à l’hôtel du 9 rue Gît-le-Cœur pour voir la Dreamachine, mais aucun accord ne fut trouvé pour la production de masse, malgré les efforts de Gysin : Philips ne vit pas de potentiel commercial et le choix était probablement aussi influencé par une peur profonde quant à l’épilepsie photosensible.

Dans les années 1980, Gysin disparût dans l’anonymat : en dehors de l’influence qu’il a eue sur certains musiciens comme Iggy Pop et Mariane Evelyn Gabriel Faithfull, son nom est resté peu connu du grand public. Sa Dreamachine connut le même sort : très chère à la Beat Generation, à des musiciens comme Kurt Cobain et Genesis P-Orridge et à des écrivains comme Aldous Huxley (qui la voyait comme « un pilier de l’expérience visionnaire ») et Margaret Atwood, elle ne devint jamais un objet pop comme en rêvait son inventeur.
Si l’on reparle de Dreamachines aujourd’hui, c’est pour l’intérêt que suscitent à nouveau les expériences psychédéliques. Un intérêt scientifique, qui s’est aussi étendu à la culture pop : des substances comme le LSD, la psilocybine et le DMT ne génèrent plus la peur mais une curiosité et une envie d’explorer les confins de l’esprit. Et c’est peut-être aussi grâce à cela qu’a été définie la « renaissance psychédélique » (à approfondir éventuellement ici et ici), qu’une application a vu le jour, Lumenate, qui fonctionne précisément comme une Dreamachine : à travers la lumière intermittente d’un smartphone, elle entraîne l’utilisateur dans un état entre l’expérience psychédélique et la méditation profonde. Les créateurs de Lumenate, Tom Galea et Jay Conlon, affirment vouloir « rendre plus accessible que jamais l’exploration du subconscient ». L'équipe du Centre for Psychedelic Research de l’Imperial College a émis un avis positif sur Lumenate : selon Christopher Timmerman, « en explorant les expériences immersives des utilisateurs de Lumenate, nous pouvons en apprendre beaucoup sur l’esprit et sur le cerveau ».

La Dreamachine n’a pas remplacé la télévision comme l’aurait voulu Gysin, mais, avec Lumenate, elle a rejoint un dispositif que des millions de personnes possèdent. Un dispositif qui nous permet d’entrer en contact avec les autres êtres humains et, grâce à une application, peut-être aussi avec notre conscience la plus profonde.