« Je voudrais vivre un film de Wes Anderson / Cadrages symétriques, puis les Kinks commencent », chantaient I Cani, dans le dernier morceau de leur surprenant premier album. Mais les films du réalisateur plaisent pour toutes les raisons indiquées par Niccolò Contessa, entre autres.
Les atmosphères rétro retrouvées sur ses pellicules suscitent un mélange de tendresse nostalgique et de divertissement aigre-doux. Ces sentiments viennent des histoires que raconte le réalisateur texan et, surtout, de la photographie. Le « style Wes Anderson », c'est la symétrie des cadrages, comme le dit justement, aussi la chanson mentionnée précédemment, et une utilisation de la couleur unique : un choix axé sur l'esthétique, mais plein de sens. Les palettes non réalistes contribuent à renforcer le pacte étroit avec le spectateur : elles l'avertissent, dès la première image, que ce qu'il regarde n'est pas une reproduction à l'identique de la réalité. L'artifice est exposé, le public sait qu'il est au cinéma, ou sur son canapé avec l'ordinateur sur ses jambes : il est bien conscient que ce qu'il regarde est une histoire, de la fiction à l'état pur.
Un gif tiré de « Grand Budapest Hotel » (The Grand Budapest Hotel)
Chez Wes Anderson, la lumière est aussi une question d'émotions. Grand Budapest Hotel par exemple. La lumière rose qui baigne la pellicule disparaît à un moment donné. Quand l'histoire se transforme en une sorte d'histoire d'espionnage, alors que la température émotionnelle du film se charge de tension, les tons froids et l'obscurité prennent le relais : la chaleur rassurante des tons rose disparaît, la nuit plane, la musique augmente et le mystère s'épaissit.
Deux scènes de Grand Budapest Hotel qui montrent le changement émotionnel de la pellicule
Chez Wes Anderson, la lumière est aussi une question d'émotions.
Regarder les films de Wes Anderson, c'est un peu fureter dans les vieilleries d'un marché aux puces, ou dans les rayonnages poussiéreux d'un magasin vintage : c'est assister et participer à l'intrusion d'un passé générique et fascinant dans notre présent. L'idée de Wes Anderson est celle du passé plus qu'une reproduction fidèle du passé, un « effet de passé » en paraphrasant l'impression de réel dont parle Roland Barthes : ce sont les détails qui pourraient paraître superflus et dépourvus de fonction narrative, comme le design de la couverture d'un livre (celui qui raconte l'histoire du Grand Budapest Hotel) ou un accessoire porté par un personnage (le bandeau d'un tennis des années 70, porté par Richie Tenenbaum), qui contribuent cependant à amplifier, avec les choix en matière de lumière et de couleur, cet effet de passé qui fascine les spectateurs, séduits par un monde qui n'est plus. Ce charme est celui que l'on éprouve en entrant dans le Grand Budapest Hotel, où tout est plongé dans cette chaude et rassurante lumière rose et a la saveur des clinquants voyages de luxe du début du XXe siècle ; ou, alors que l'on suit la fugue d'amour de Sam et Suzy dans Moonrise Kingdom, à travers cette patine jaune/bleue qui rappelle les vieilles photos de famille (ou certains filtres d'Instagram).
This is the excitement we feel on entering the Grand Budapest Hotel, where everything is immersed in a warm and reassuring light and the mood is that of a scintillating early twentieth century aristocratic holiday. A similar sensation is aroused when we follow Sam and Suzy as they elope in Moonrise Kingdom through a yellow and light blue haze reminiscent of old family photos (or a special Instagram filter).
Une des salles d'exposition de « Il sarcofago di Spitzmaus e altri tesor » (ou La momie musaraigne dans un cercueil et autres trésors), où le rouge prédomine
L'extrême attention que porte Wes Anderson aux détails et à l'utilisation de la couleur pour créer des univers narratifs sur le plateau se retrouve aussi dans « Il sarcofago di Spitzmaus e altri tesor » (ou La momie musaraigne dans un cercueil et autres trésors), l'exposition conçue par le réalisateur et l'illustratrice et designer Juman Malouf, qui se tient à la Fondation Prada jusqu'au 13 janvier 2020. Inspirée des Cabinets de curiosités qui, entre le XIV e et le XVIII e siècle ont recueilli des merveilles du monde entier, elle réunit 538 œuvres d'art et objets de natures les plus disparates : d'un sarcophage contenant la momie d'une musaraigne (Spitzmaus), à un casque en forme de renard ayant appartenu à Ferdinand 1 er , en passant par un bracelet de perles en faïence égyptienne remontant à 3000 av. J.-C. L'exposition est une réflexion sur les motifs qui guident le collectionneur dans son geste de collecter et conserver son matériel. Les objets sont réunis selon des relations nouvelles, et l'un des critères que le duo de curateurs choisit est la couleur : le visiteur évolue de la salle verte à la rouge, et le parcours d'exposition devient, comme dans les films d'Anderson, un véritable voyage esthétique à vivre complètement.
Qu'il s'agisse d'un film ou d'une exposition, le regard de Wes Anderson semble intercepter un zeitgeist ; une sensibilité partagée par de très nombreuses personnes, comme en témoignent des projets comme @accidentallywesanderson, account Instagram, qui recueille des clichés d'utilisateurs du monde entier, semblant tirés d'un film du réalisateur texan.