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Antiquités spectaculaires : éclairer l’archéologie

Entretien avec Stefano Karadjov, directeur de la Fondation Brescia Musei, et Francesca Morandini, commissaire des collections archéologiques des Musées civiques de Brescia

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Published: 12 mai 2021
D’ici quelques années sera célébré le deux-centième anniversaire de la découverte de la Vittoria Alata, l’un des symboles de la ville de Brescia, et le Parc archéologique de la ville s’y prépare déjà. La statue en bronze de l’époque romaine, découverte en 1826 lors de fouilles dans le Parc, a été restaurée entre 2018 et 2020 par l’Opificio delle Pietre Dure.de Florence, et depuis quelques mois la pièce maîtresse d’une nouvelle installation dans la cella orientale du Capitolium (ou Temple de la triade capitoline).
 
Antiquités spectaculaires : éclairer l’archéologie

La statue de la Vittoria Alata (Archives photographiques Musées de Brescia ; Fotostudio Rapuzzi)

En attendant de pouvoir rouvrir l’espace, le site web dédié à la statue décrit l’expérience du visiteur : « On entre dans la cella par le côté, et l’on découvre la statue en position surélevée en diagonale : la Vittoria nous domine du regard, on dirait que c’est elle qui nous observe ». L’architecte espagnol Juan Navarro Baldeweg, qui a dirigé l’installation éclairée par iGuzzini, « casse la symétrie en plaçant la Vittoria sur la diagonale, apporte l’élément singulier de la lampe-lune conçue comme un objet poétique avant d’être technologique, montre les cadres en bronze [retrouvés avec la statue, NdR] dans une composition à la fois abstraite et monumentale ».

Le nouvel aménagement est l’occasion d’approfondir les fonctions que peut exercer la lumière en soutien de l’archéologie, en impliquant deux points de vue différents : nous avons interviewé le directeur de la Fonction Brescia Musei, Stefano Karadjov, et la commissaire des collections archéologiques des Musées civiques de Brescia, Francesca Morandini.

MORANDINI – Les rôles de la lumière sont nombreux, puisque l’archéologie regroupe différentes choses : des monuments en plein air, sur les sites archéologiques, aux vestiges et œuvres à l’intérieur de musées. Et dans ces mêmes expositions de musées, la lumière peut être utilisée différemment ; sur une même œuvre archéologique, on peut vouloir mettre en évidence divers détails. Par exemple, une œuvre en exposition permanente à l’intérieur d’un musée devra sûrement être éclairée avec de nombreux objets très hétérogènes ; pour des raisons de durabilité et de lisibilité, on choisira un mode d’éclairage plus « neutre ». En revanche, si l’on veut donner à l’œuvre une connotation particulière dans une exposition temporaire, la lumière jouera un rôle différent, car elle contribuera à un récit différent.
 
Antiquités spectaculaires : éclairer l’archéologie

Les domus romaines comprises dans le musée (Archives photographiques Musées de Brescia ; Fotostudio Rapuzzi)

L’aspect lié à la conservation est tout aussi important et d’une grande délicatesse. Par exemple, à l’intérieur du musée se trouve un site archéologique avec deux habitations romaines restées sur leur support d’origine, sur les niveaux du sol où elles ont été découvertes. Les lumières que nous avons dû utiliser pour les éclairer ont des filtres particuliers qui empêchent la végétation de pousser. À travers la lumière, nous assurons aussi la conservation du bien.

Il existe de plus des lumières particulières qui nous permettent de découvrir des signes invisibles. Il y a quelques années, nous avons fait une expérience avec le synchrotron de Trieste : sur certains petits objets précieux nous avons apposé des sigles avec une encre particulière détectable uniquement par une lumière trouvée par les expériences réalisées au synchrotron de Trieste. Ces codes nous permettent, par exemple, d’éviter la contrefaçon des œuvres, sans en altérer la lisibilité comme cela se produirait en utilisant des encres normales.
 
Antiquités spectaculaires : éclairer l’archéologie

À gauche, la lampe qui éclaire l’espace du Capitolium (Archives photographiques Musées de Brescia ; Alessandra Chemollo)

KARADJOV – J’ajouterais le rôle narratif aux rôles scientifiques de la lumière. De la façon dont évolue le système du design des expositions, je crois que nous sommes aux débuts d'un nouveau mode de concevoir et d’imaginer l’exploitation des lieux culturels, où la vision d’un vestige archéologique est identique à assister à un spectacle. Dans la dimension scénographique de l’installation, la lumière joue un rôle principal et contribue à déterminer les modalités et les temps de l’utilisation.

Dans le cas de la salle du Capitolium, où se trouve l’installation de l’architecte Juan Navarro Baldeweg, nous avons composé le spectacle en trois scénarios, à proposer au public avec différents objectifs. Le premier est de nature plus archéologique, dont le but est d’avoir la condition d’éclairage la plus homogène possible pour mettre en valeur les vestiges et l’installation. Le deuxième est plus théâtral, pour une exploitation « atmosphérique » plus proche de la vision de Baldeweg, avec une lumière froide et la présence d’ombres pour renforcer la théâtralité au coucher du soleil. Même si la statue se trouve à l’intérieur, ce scénario veut en évoquer l’exposition en plein air d’origine. Enfin, la vision nocturne : seule la statue est éclairée, et sur le mur d’à côté apparaît un point lumineux d’environ un mètre de diamètre, se configurant comme le « fantôme » du bouclier que tenait autrefois la statue et sur lequel était gravé le nom de la ville de Brixia. Le bouclier n’a jamais été trouvé, et l’installation l’évoque ainsi à travers la lumière ; il est en fait toujours visible, mais se voit davantage avec le scénario d’éclairage nocturne.
Dans la dimension scénographique de l’installation, la lumière joue un rôle principal et contribue à déterminer les modalités et les temps de l’utilisation.
Antiquités spectaculaires : éclairer l’archéologie

Sur la droite, le « fantôme » du bouclier (Archives photographiques Musées de Brescia ; Alessandra Chemollo)

Si le spectaculaire est une nouveauté, le rechercher n’expose-t-il pas au passage des modes, risquant ainsi d’abréger la vie des installations ?

K – Ceci se produit quel que soit l’éclairage : comme la beauté se trouve dans l'œil de l’observateur, il en va de même pour l’obsolescence, qui dépend de la connaissance de l’observateur et de son expérience de visite d’autres sites culturels et d’autres parcs archéologiques, des médias, de la technologie omniprésente. La lumière ne renforce pas l’obsolescence de ce qui est déjà voué à l’obsolescence expérientielle. Nous devons de plus en plus réaliser des installations perceptives adaptés au critères esthétiques et expérientiels du spectateur ; être prêts au changement en sachant que, par exemple, les trois scénarios de la Vittoria Alata devront demain accompagner un mood que nous ne pouvons pas prévoir pour l’instant. C’est ce qui s’est produit avec les dés en plexiglas positionnés à côté des vestiges : un système qui répondait à des critères fonctionnels dans les années 1970 et 1980 nous semble aujourd’hui dépassé car notre perception a évolué. Ceci n’empêche pas qu’il soit encore valable, mais les musées ont dû changer de mode d’expression. C’est pareil pour la lumière, car elle est immatérielle mais de toute façon extrêmement encombrante sur le plan perceptif.

M – Chaque installation reflète la mode du moment, car nous sommes tous empreints d’une vision d’ensemble, mais l’on cherche en même temps d’identifier des éléments qui vont au-delà du court terme. De plus, nous sommes aujourd’hui capables de présenter la Vittoria Alata en trois scénarios, mais le système en prévoit bien d’autres : nous sommes conscients et certains que le système supportera aussi les changements et, quand les goûts changeront, nous pourrons nous y adapter grâce à ce qui a été prévu dans cette phase.
 
Antiquités spectaculaires : éclairer l’archéologie

En fond, les cadres en bronze retrouvés avec la statue en 1826 (Archives photographiques Musées de Brescia ; Alessandra Chemollo)

Les musées archéologiques exposent des vestiges en matériaux très différents : est-il ainsi plus difficile de trouver le bon éclairage ?

M – Lorsque l’on imagine une série d'œuvres dans un musée, cette série répond à un fil logique, à une narration plutôt qu’à l’homogénéité des matériaux, le problème existe donc. Il est parfois nécessaire, dans une même salle, d’éclairer un bronze, une terre cuite et un verre, dont les exigences sont complètement différentes. Pour revenir à la Vittoria Alata, le métal est l’un des matériaux les plus difficiles à éclairer : il a un reflet qui anéantit tout ce qui se trouve autour. Un très grand équilibre est nécessaire. Nous avons faits divers essais sur place, d’intensité comme de température de couleur, pour avoir des éléments d’accentuation mais en même temps une totale lisibilité de l'œuvre. À l’intérieur de la salle de la Vittoria, je trouve le contraste entre la statue et la matité, bien que vibrante, des murs en briques extraordinaire, il sublime les deux matériaux.

K – Le résultat final de la lumière dans la salle dépendait fortement de la capacité des techniciens iGuzzzini de prévoir que le bronze, dans sa version restaurée, aurait une valeur d’absorption de la lumière supérieure à avant, et ceci a permis de reparamétrer le choix de l’architecte en le poussant à accepter de certaines facilités en termes de corps éclairants supplémentaires qui permettent, preuve à l’appui, une utilisation optimale.