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Photographie psychologique

Entretien avec Roger Ballen, artiste

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Published: 29 mars 2022
« Je représente l’Afrique du Sud à la Biennale de Venise cette année, avec un projet nommé Il teatro delle apparizioni » (le théâtre des apparitions), dit Roger Ballen. « J’ai utilisé les boîtes lumineuses pour éclairer les photographies et mon impression est celle d’avoir documenté un monde fantôme ».
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Despondent, 2020. Les photos présentées ont été fournies par Roger Ballen, sauf indication contraire.
La référence au théâtre et les présences surnaturelles sont récurrentes dans la longue carrière de Ballen, et contribuent à dessiner les traits de l’imaginaire « ballenesque », comme l’a défini l’historien et critique culturel post-colonial Robert J.C. Young. Murs sans fenêtres, créatures humaines masquées, animaux, objets juxtaposés de façon apparemment incongrue : tout ceci, mais aussi le reste, contribue à la reconnaissance d’un corpus d'œuvres devenu à son tour influence et inspiration pour d’autres artistes.

Lors d’une interview de Roger Ballen, nous lui avons d'abord demandé de reconstruire, en trois étapes, son parcours lié à l’utilisation qu’il a faite de la lumière et de la couleur, pour parler ensuite de l’Inside Out Centre for the Arts, une institution qui soutient l’art d’Afrique du Sud, dont l’ouverture est prévue pour l’automne 2022 à Johannesburg à son initiative et sous sa direction.
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Five hands, 2006

PHOTOGRAPHIE DE RUE

« La première partie de mon expérience », raconte Ballen, « s’étend à peu près de 1967 à 1982. À ce moment-là, je me définissais comme un photographe de rue : par exemple, entre 1973 et 1978, je suis allé en auto-stop du Caire à Le Cap et d'Istanbul à la Nouvelle-Guinée. Je voyageais beaucoup et, peu importe où j’allais, je recherchais les conditions de lumière des premières heures du matin ou de la fin de l’après-midi, quand la lumière est plus tendre, car je travaillais en noir et blanc et il devenait difficile de prendre des photos avec une lumière excessive. Il était également plus facile de travailler quand le ciel était très nuageux. Comme je l’ai toujours dit, si j’avais été en Angleterre, en Irlande ou aux Pays-Bas, mon travail aurait été beaucoup plus facile. À cette époque, j’ai écrit mon premier livre Boyhood, que l’éditeur Damiani à Bologne republiera à l’automne. »
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Froggy Boy, USA 1977

LE TRANSFERT EN AFRIQUE DU SUD

« J’ai continué à me servir de la lumière naturelle jusqu’à mon départ définitif pour l’Afrique du Sud, à Johannesburg, en 1982. La lumière y est extrêmement forte une grande partie de l’année, et les nuages sont rares : d’avril à octobre il ne pleut pas, il est donc difficile de faire de la photo de rue en noir et blanc. De même, se lever tôt pour sortir et souvent ne trouver personne dehors était devenu un peu frustrant. J’ai ensuite commencé, par hasard, à connaître des gens et à entrer chez eux. L’éclairage était faible, certains logements n’avaient même pas d’électricité, et c’est ainsi que j’ai commencé à faire des photos avec un petit flash. Je n’avais jamais fait de photos à l'intérieur jusque là. »
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Bedroom of railway worker, De Aar 1984

LUMIERE, TECHNOLOGIES, COULEUR

« Jusqu’en 2016, j’ai toujours utilisé le flash. Au début, c’était un flash au-dessus de l’appareil, puis à partir de 2008-2009 j’ai commencé à utiliser un flash externe et deux lumières stroboscopiques sur les côtés à un angle de 45 degrés. En 2016, j’ai adopté les LED, une possibilité qui s’est présentée - très important - parce que j’ai abandonné la pellicule pour passer au numérique. J’utilisais avant une pellicule Kodak T-Max 400, je devais donc régler 400 ISO et le temps d’exposition devait être très long. Mais mes photos sont souvent d’animaux : oiseaux, rats, chiens, chats, et quand ils bougeaient les vues se révélaient floues. En 2016, pour tourner la vidéo de mon livre Ballenesque, Roger Ballen: A Retrospective, Leica m’a donné un appareil numérique pour tourner la vidéo, et j’ai commencé à l’utiliser par hasard aussi pour mes photos en couleurs, qui m’ont émerveillé par leur rendu. J’ai continué à travailler en couleurs les années suivantes. Avec cet appareil numérique, je peux me mettre en ISO jusqu’à 1600 ou 3200 et ainsi utiliser des lumières à LED ; je ne me suis plus servi d’un flash depuis quelque temps. »
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Puppy between feet, 1999

Auparavant, vous n’aviez pas confiance en la photo couleurs ?

Quand j’ai commencé à faire des photos dans les années 1960, les véritables photographes n’utilisaient que le noir et blanc. Les documentaristes n’étaient pas vus comme des artistes. J’ai grandi dans une culture qui croyait que le noir et blanc était le seul moyen pour documenter la réalité ambiante. Mes photos étaient très bien accueillies, je ne me suis donc jamais senti mal à l’aise avec le noir et blanc ; la couleur me paraissait plastique, fausse. Ce n’est que lorsque j’ai commencé à utiliser un Leica en 2016 que j’ai compris que mon esthétique pouvait s’exprimer aussi bien en couleurs qu’en noir et blanc, et que les couleurs ne devaient pas être vives et criardes, mais pouvaient être tendres. En regardant bien mes photos couleurs, on voit tout de suite qu’elles sont de moi. Mon esthétique continue à s’étendre dans toutes les directions, et celle de la couleur est un défi intéressant : cinquante ans plus tard, un grand changement a eu lieu.
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Leopard Lady, 2019

Vous vous êtes souvent intéressé au monde intérieur plutôt qu’à l’extérieur. Le nom de l’Inside Out Centre for the Arts qui ouvrira à Johannesburg y fait référence ?

Il m’a fallu beaucoup de temps pour trouver le bon nom. Je pensais tout d’abord à « Roger Ballen Centre for Photography », mais je ne m’occupe pas que de photographie et je ne voulais pas que cet espace soit consacré uniquement à la photo. Il est alors devenu « Roger Ballen Centre for the Arts », mais il existe d’innombrables lieux de ce type dans le monde, qu’aurait eu le mien de spécial ? Puis j’ai pensé à : Inside Out. Le cœur de mon travail c’est cela, un point de vue psychologique qui s’empare de quelque chose de profond dans l’esprit et l’exprime dans une photographie. J’espère que, en regardant mes photos ou en visitant le centre, ce que l’on voit se connecte aux profondeurs de l’esprit et que, en fin de compte, révèle quelque chose à la personne et à sa conscience, d’une manière ou d'une autre, consciemment ou inconsciemment. Les expositions que nous y organiserons prochainement auront quatre caractéristiques : 1. basées sur la psychologie 2. auront un rapport avec l’Afrique ; 3. auront quelque chose qui m’est propre ; 4. devront être pertinentes pour la communauté d’Afrique du Sud. Les visiteurs devront pouvoir interagir avec les expositions, qui devraient être des expériences esthétiques, mais aussi instructives. La première exposition traite de la destruction de la faune sauvage durant la période coloniale en Afrique entre 1860 et 1940 et de l’interprétation de Ballen de ce concept. Il s’agit d’une approche plus esthétique et psychologique comparativement à la partie plus documentaire qui se compose de cartes postales, photos d’époque, armes et objets datant de plus d’un siècle.
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The Inside Out Centre of the Arts (photo: Marguerite Rossouw)

Avez-vous travaillé en collaboration avec des commissaires ou concepteurs lumière pour les expositions ?

J’ai organisé de très nombreuses expositions au cours des années, il existe donc des personnes de grand talent qui m’ont conseillé, mais je suis sûr de mes capacités et le système d’éclairage actuel est excellent. Le réglage de l’installation est informatisé, nous aurons donc, dans le temps, par exemple la possibilité de baisser certaines lumières et d’en intensifier d’autres. L’éclairage des deux parties de l’exposition est différent : dans la première, l’intention est de montrer ce qui est exposé de façon objective, afin que le visiteur comprenne ce qu’il regarde et puisse le trouver intéressant et apprendre quelque chose d’une période donnée de l’histoire. À l’étage du dessous, où se tient mon exposition, nous essayons d’utiliser la lumière de façon plus esthétique, pour créer une atmosphère pouvant aller de la clarté à l’obscurité, du très concentré au diffus, de manière à ce que l'éclairage de l’exposition ne soit pas monotone. En Afrique du Sud, nombreux sont ceux qui ne connaissent pas les musées ou les expositions d’art, et je pense que ces personnes pourront pleinement apprécier le sujet des expositions que nous réaliserons. J’ai discuté avec différentes personnes qui ne sont jamais allées dans un musée jusqu’ici et elles paraissent ravies, et c’est une très belle sensation car l’on sait que l’on communique quelque chose à des gens qui n’ont jamais eu cette expérience auparavant.
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Intérieur du Centre (photo : Marguerite Rossouw)